Si l’on prend au sérieux la version impliquant les services de renseignement, une question clé se pose :
pourquoi lancer un système qu’il est impossible d’éteindre par simple pression sur un bouton ?
La réponse ne se trouve pas dans le contrôle, mais dans la modélisation des comportements.
Les États introduisent rarement des changements radicaux de manière directe. À la place, ils :
- lancent des expérimentations externes,
- observent les réactions,
- consignent les effets secondaires,
- et ne créent des équivalents officiels qu’ensuite.
Bitcoin correspond parfaitement à ce rôle d’expérimentation.
Il a permis, pour la première fois dans l’histoire, d’observer :
- la manière dont les individus perçoivent une monnaie sans émetteur ;
- la formation de la confiance sans institution ;
- le comportement des marchés avec une émission fixe ;
- l’apparition de bulles spéculatives sans banques centrales.
Aucun simulateur économique n’aurait pu fournir de telles données.
Bitcoin, lui, l’a fait. Gratuitement. En temps réel.
Pourquoi les CBDC ne sont pas une « réponse » à Bitcoin, mais sa continuation logique
Une thèse répandue affirme :
« Les CBDC sont créées pour détruire Bitcoin »
Mais si l’on regarde les choses avec lucidité, la relation est inverse.
Les CBDC :
- sont apparues après que Bitcoin a démontré la faisabilité technique de la monnaie numérique ;
- empruntent de nombreux concepts (programmabilité, adresses, finalité) ;
- mais renoncent délibérément à l’anonymat.
Si l’on considère Bitcoin comme une expérimentation, alors les CBDC sont :
- une version institutionnelle,
- tenant compte des erreurs,
- tout en conservant les observations utiles.
Bitcoin a montré :
- que la monnaie peut être entièrement numérique ;
- que les individus sont prêts à stocker de la valeur en dehors des banques ;
- que le marché accepte une émission algorithmique.
Les CBDC répondent :
- « oui, mais sous notre contrôle ».
Pourquoi les États n’ont pas copié Bitcoin directement
Si Bitcoin est si utile, pourquoi ne pas simplement créer un « Bitcoin d’État » ?
Parce que Bitcoin est précisément précieux en tant qu’objet externe.
Il est avantageux pour l’État que :
- l’expérimentation soit indépendante ;
- les échecs ne soient pas associés au pouvoir ;
- la responsabilité incombe au « marché ».
Bitcoin remplit ce rôle :
- il peut être étudié ;
- il peut être régulé à la marge ;
- mais il n’est pas nécessaire d’en assumer la responsabilité.
Il s’agit d’une stratégie classique :
laisser d’abord le système croître de lui-même, puis s’y intégrer.
Un autre détail dérangeant : ceux que Bitcoin ne cherche PAS à protéger
Si Bitcoin est un outil de liberté radicale, il est étrange qu’il :
- ne protège pas l’utilisateur par défaut ;
- exige un haut niveau de compétence technique ;
- sanctionne les erreurs sans possibilité d’appel.
Clé perdue — tout est perdu.
Envoi à la mauvaise adresse — pour toujours.
C’est :
- mauvais pour une libération de masse,
- mais idéal pour une sélection naturelle des participants.
Restent dans le système :
- les patients,
- les disciplinés,
- les techniquement compétents.
Un avantage pour une expérimentation.
Discusable pour une utopie.
L’argument le plus fort CONTRE la version des services de renseignement
Il existe un argument qui frappe réellement cette hypothèse.
Il est le suivant :
Si Bitcoin est un projet des services de renseignement, pourquoi permettre l’émergence d’alternatives qui :
- corrigent ses faiblesses ;
- ajoutent de la confidentialité ;
- rendent l’analyse plus complexe ?
Monero, Zcash, MimbleWimble — tout cela est apparu sans répression.
Contre-argument au contre-argument :
- peut-être que Bitcoin n’avait pas vocation à être parfait ;
- peut-être que son rôle était d’être le premier, et non le meilleur ;
- peut-être que les alternatives ne font que souligner sa valeur analytique en tant que « couche de base ».
Mais il s’agit déjà d’une ligne très fine.
Et c’est ici que cette version commence à perdre sa cohérence.
Pourquoi la vérité est probablement hybride
Plus l’analyse est approfondie, plus il devient difficile de maintenir un modèle binaire :
- soit un « cypherpunk pur »,
- soit une « commande étatique pure ».
L’histoire des technologies est rarement aussi simple.
Un scénario bien plus plausible est celui dans lequel :
- les idées sont nées dans l’environnement cypherpunk ;
- certaines personnes avaient une expérience de projets étatiques ;
- des financements, des conseils ou des recherches ont eu lieu en parallèle ;
- et le résultat final a dépassé les intentions initiales.
Dans ce sens, Bitcoin peut être :
- ni une arme,
- ni une révolution,
- mais un produit secondaire de la convergence d’intérêts.
La dernière couche : pourquoi le mystère est plus important que la réponse
L’aspect le plus paradoxal de toute cette histoire est que :
- Bitcoin fonctionne parfaitement sans connaître son auteur ;
- sa mythologie renforce la confiance ;
- l’incertitude est devenue une partie du protocole.
Si Satoshi était révélé :
- le projet perdrait son universalité ;
- il faudrait le « réécrire » historiquement.
Le mystère n’est pas un défaut.
C’est peut-être la caractéristique de conception la plus réussie.
Au lieu d’une conclusion
La question « qui a créé Bitcoin » reste ouverte non pas parce qu’il n’y a pas de réponse,
mais parce que toute réponse univoque simplifie la réalité.
Bitcoin s’inscrit trop bien :
- dans la culture cypherpunk,
- dans la logique de l’État,
- et dans l’histoire des technologies à double usage.
C’est précisément pour cette raison qu’il est toujours vivant.
Et chaque année, le mystère de Satoshi devient moins important pour le fonctionnement du système, mais plus important pour sa légitimité.
Le paradoxe :
- si Satoshi s’avérait être une personne seule, le mythe s’effondrerait ;
- s’il s’avérait être un État, la confiance en souffrirait ;
- s’il s’avérait être un groupe, des luttes de pouvoir commenceraient.
L’inconnu :
- met tout le monde sur un pied d’égalité ;
- supprime la question de l’autorité ;
- fait du code la seule source de vérité.
C’est un cas rare où l’absence de réponse stabilise le système.
Dernière pensée sans conclusion
Bitcoin peut être interprété comme :
- un projet cypherpunk,
- une expérimentation des services de renseignement,
- une convergence fortuite d’idées,
- ou une technologie à double usage qui a échappé à tout contrôle.
Chaque version :
- possède des arguments POUR,
- possède des arguments CONTRE,
- et aucune ne répond à toutes les questions.
Et peut-être est-ce la seule forme de vérité compatible avec l’esprit même de Bitcoin.
Ni monolithe.
Ni complot.
Ni utopie.
Mais un système trop complexe pour avoir un seul auteur et trop résilient pour avoir besoin de son nom.
Le début de l’article est disponible ici 👉 Qui a créé Bitcoin ?